André Moreau
Lorsqu’un
homme ou une femme sont engagés dans l’épreuve joyeuse de l’auto-réalisation,
ils ont besoin d’ignorer tout ce qu’ils ont appris jusque-là.
Par
exemple, si on leur a enseigné l’oubli de soi depuis leur enfance, ils doivent
avoir le courage de pratiquer le rappel à soi; si on leur a dit qu’ils devaient
renoncer à leur volonté pour faire la volonté de Dieu, ils doivent être
capables de faire une crise d’indépendance et de revendiquer l’efficacité de leur
volonté propre; si on leur a dit qu’ils ne devaient pas juger s’ils ne
voulaient pas être jugés, ils doivent commencer à juger avec autorité et
objectivité, et exiger qu’on les juge en retour, car le jugement des autres est
nécessaire pour grandir, surtout s’il vient de nos ennemis, qui ne nous
mentiront pas sur nous-même; si on leur a dit qu’ils devaient faire des
efforts, se maîtriser, se retenir, ils doivent oser envoyer paître les
corbeaux, car l’aigle n’a aucun conseil à recevoir du corbeau, et dans le cas
présent, il doit se laisser être, il doit s’aimer infiniment, se jeter à corps
perdu dans l’action extrême comme Walt Whitman nous le suggère quand il
écrit : « Je me célèbre moi-même ».
Ce
n’est donc pas à une morale de la prudence marquée par l’hétéronomie de la loi
générale qu’est invité celui ou celle qui veut s’éveiller, mais à une éthique
de l’excès qui met en pratique « l’art de savoir jusqu’où aller trop loin ».
Une telle éthique est caractérisée par l’autonomie que confère la loi
d’exception. Et l’adepte, en route vers lui-même, n’a que sa liberté pour le
confirmer dans ce mode d’être absolu, car la liberté est la légitimation de
l’exceptionnel.
Il
ne s’agit donc pas ici d’une philosophie pour les peureux, les gens
pusillanimes, irrésolus, effrayés par leur ombre (la personne). Rappelons-nous
le mot de Nietzsche : « Ne sois pas l’ombre de ton maître, mais le maître
de ton ombre ».