Jean Klein
"La joie sans objet"
Ed Almora
Une immense carence intérieure.
À certains moments, seuls avec nous-mêmes, nous éprouvons une immense
carence intérieure. Elle est la motivation-mère qui engendre les
autres. Le besoin de combler cette carence, d’étancher cette soif nous
pousse à penser, à agir.
Sans même l’interroger, nous fuyons cette insuffisance, nous cherchons
à la meubler tantôt avec un objet, tantôt avec un projet, puis, déçus,
nous courons d’une compensation à la suivante, allant d’échec en échec,
de souffrance en souffrance, de guerre en guerre. C’est le destin
auquel est voué le commun des mortels, ceux qui se résignent à cet état
de choses qu’ils jugent inhérent à l’humaine condition.
Regardons-y de plus près. Trompés par la satisfaction que nous
procurent les objets, nous constatons qu’ils provoquent satiété et même
indifférence, ils nous comblent un moment, nous amènent à la
non-carence, nous renvoient à nous-mêmes, puis nous lassent ; ils ont
perdu leur magie évocatrice.
La plénitude que nous avons éprouvée ne se trouve donc pas en eux,
c’est en nous qu’elle demeure ; pendant un instant, l’objet a la
faculté de la susciter et nous concluons à tort qu’il fut l’artisan de
cette paix. L’erreur consiste à considérer ce dernier comme une
condition sine qua non de cette plénitude.
Dans ces périodes de joie, celle-ci existe en elle-même, rien d’autre
n’est là. Par la suite, en se référant à cette félicité, nous lui
surimposons un objet qui selon nous en fut l’occasion. Nous objectivons
donc la joie.
Si nous constatons que cette perspective dans laquelle nous nous sommes
engagés ne peut apporter qu’un bonheur éphémère, qu’elle est incapable
de nous procurer cette paix durable qui est située en nous-mêmes, nous
comprenons enfin qu’au moment où nous parvenons à cet équilibre, nul
objet ne l’a provoqué, l’ultime contentement, joie ineffable,
inaltérable, sans motif est toujours présent en nous, il nous était
seulement voilé.
Jean Klein
***
Editions Almora, 51 rue Orfila, 75020 Paris.
Conjuguer notre passion pour le livre avec notre intérêt pour la
spiritualité et les sciences humaines, faire mieux connaître ce qui
nous a fait grandir, donner du sens à son travail par les rencontres,
voilà sûrement les motivations profondes qui ont conduit à la création
d'Almora.
Ouverts à différentes traditions d'Orient et d'Occident, évitant
l'érudition rebutante et la mauvaise vulgarisation, nos livres
cherchent à rompre avec une spiritualité convenue et ronronnante. Nous
ne prétendons pas apporter des idées complètement nouvelles, mais
voulons trouver notre juste place, une marque de fabrique et une
qualité, sans concession excessive aux facilités du temps mais sans
isolement, en recherchant l'adhésion des lecteurs.