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Cesar et son Bazar
21 mai 2007

Jean-Louis d'Abrigeon : haïku et photographie




        Je viens d'un art proche du haïku, la photographie. J'ai commencé à la pratiquer dès l'age de 17 ans lors du début des passages des rallyes automobiles  en Ardèche. En archives, j'ai un gros carton à chaussures de négatifs qui dorment dans un coin de la maison... J'aimais fixer l'instant sur la pellicule, et aussi rendre l'effet de la vitesse par une vitesse très basse et suivre le sujet en mouvement par un filé. Tout cela s'est arrété à l'âge de trente ans fort heureusement ! 

 

        La rencontre avec la poésie et le haïku s'est faite en Ardèche avec la rencontre chez-nous à Aubenas du poète Kenneth White. Il a vécu dans nos vallées ardéchoises dans les années 60. Ses livres ont formé mon parcours vers le haïku. L'ouvrage "La Figure du Dehors" a été décisif dans l'orientation que je voulais prendre à l'époque. Il a été et il est toujours un "passeur" entre l'Orient et l'Occident. Les rencontres fréquentes à Nyons avec le plus érudit de nos haïjin Patrick Blanche  a été importante, il m'a encouragé à persévérer dans cette voie et à participer à "l'Anthologie du Haïku en France"  de Jean  Antonini en 2003. La rencontre grace à internet en 2002 de la haïjin Roumaine Manuela Miga a été déterminante car elle m'a aidé à essayer de trouver la voie d'un langage non-decriptif, et poétiquement vivant.

 

        Je reviens à cette chère photographie que je pratique toujours, mais  celle de paysages en nb en 35mm et moyen format maintenant. Une citation importante du photographe japonais : Takeji Iwamiya glanée dans l'ouvrage : "Entre Vues" (entretiens avec le photographe français Frank Horvat) :

" Je photographiais pendant la journée, mais je sentais que mes photos ne rendaient pas compte de toutes mes émotions, alors j'ai cherché d'exprimer ces émotions par des Haïku, que j'écrivais le soir."

        Le regard porté sur l'instant est central dans la photographie et le haïku.

"Le pratiquant du haïku semble photographier, enregistrer (André Breton, dans le "Premier manifeste du surréalisme", n'appelait-il pas les poètes à être des "appareils enregistreurs" ?) un simple rien, mais dont l'éclat irradierait sans trêve. Il ne conçoit pas, il découvre. Il met la focale au point sur ce qui est là, maintenant, inépuisable dans l'éphémère. (...) L'attention se centre sur un ou deux détails à même de dire la totalité d'un ensemble." (1)

    Avec du recul, on pourrait dire que nos grands photographes humanistes : Cartier-Bresson, E. Boubat, R. Doisneau, ont pratiqué et pratique, (c'est le cas pour Willy Ronis qui est encore parmi nous) la photographie dans l'esprit des maîtres japonais du haïku :

"Au moyen du banal, sortir du banal"

 

La grande difficulté dans le haïku, est d'éviter la description photographique de la scène observée. On peut y parvenir par un long re-travail sur les mots, c'est le "labo photo" du haïjin ! (dictionnaire  des synonymes) sur les tournures de phrases, (les plus proches du ressenti que l'on à pris soin de noter sur un papier) Jack Kérouac disait dans l'ouvrage : "Le livre des haïku" (2) "Garde l'oeil fixé LONGUEMENT sur l'objet, pour le haïku", s'exhorte-t-il lui-même à faire dans ses carnets. "ECRIS DES HAIKUS PUIS PEINT LA SCENE QUI LES DECRIT !" Il assimilait aussi un bon haïku à une bonne toile." (...) "Le haïku est meilleur quand il a été retravaillé et revu", affirmait-il dans l'entretien pour "Paris Review" (3)

"Ce que Kérouac possédait peut-être en plus par rapport aux autres poètes beat qui pratiquaient ce genre, c'était cette capacité à traduire l'essence d'un sujet et la nature éphémère et miroitante de son existance fugace. Cette sensibilité à l'impermanence apparaît sans cesse dans son oeuvre (...)"(4)

    Le haïku permet, lorsque l'attention et la contemplation sont présentes, de passer en quelque sorte "derrière" la photo de la réalité et, ainsi exprimer ces émotions ressenties devant le spectacle du monde. Les mots choisis pour leur véracité et leur légèreté, sont alors "pesés" au plus juste, de façon à ne pas alourdir l'image, mais au contraire à baliser un chemin menant vers le calme coeur des choses. Le monde moderne en est si éloigné, il est pourtant si proche.


Jean-Louis d'Abrigeon
Ardèche

Sources:     Interview par Dominique Chipot dans "GONG" N° 9 / Octobre 2005, je l'ai un peu modifié pour cause précisions.

Notes : (1)  In "Anthologie du poème court japonais. Présentation, choix et traductions de Corinne Atlan et Zéno Bianu" page 9. Editions Poésie /  Gallimard 2002

           (2) (3) (4) In "Jack Kerouac Le livre des haïku, Présentation et Introduction de Regina Weinreich, Traduction et préface de Bertrand Agostini /    Edition bilingue / La table Ronde, 2006



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